Skip to content

L’accueil d’hiver n’est pas une solution (OPINION)

Dans les dortoirs, « c’est la pagaille à cause du mélange de personnes psychologiquement perturbées, sous l’influence de l’alcool, droguées ou simplement agressives », témoigne Slimane. 

Une opinion de Willem Defieuw (ARA), Jürgen Geerdens (vzw Chez Nous-Bij ons), Bart Peeters (Brussels Platform Armoede), Laurent d’Ursel (DouchFlux), Maaika Santana (Pigement), David de Vaal (Netwerk tegen Armoede). 

Ce mercredi, les dernières places dans les centres d’accueil hivernaux de Bruxelles se sont fermées. L’offre dans l’accueil de nuit se réduit ainsi d’environ mille places et les services de jour sont également diminués. Les quelques centaines de lits restants sont largement insuffisantes pour faire face à la multitude croissante des SDF et des autres migrants en errance dans la capitale : il est question de près de quatre mille personnes, des hommes en majorité mais hélas aussi de plus en plus de femmes et même d’enfants.

Mais les quelque mille lits supplémentaires mis à disposition dans le cadre du Plan Hiver souffrent aussi chaque année de problèmes récurrents constatés par les acteurs de terrain. En collaboration avec les organisations du secteur de sans-abrisme, la BPA organise annuellement depuis 2012 une enquête auprès des utilisateurs du Plan Hiver. Ceux-ci sont invités à répondre à une série de questions… Restait-il de la place ? Vous êtes-vous senti(e) en sécurité ? Les lieux étaient-ils suffisamment propres ? La nourriture était-elle correcte ? Avez-vous eu un bon contact avec le personnel d’accueil ? Les résultats de l’hiver 2017-2018 ne seront connus qu’en juin.

Focalisé sur l’aide d’urgence

Les années précédentes certaines choses ont été améliorées dans l’accueil de nuit, comme une plus grande capacité et des modifications dans le système d’enregistrement pour des places de nuit. Mais nous observons quelques problèmes récurrents qui provoquent des plaintes et frustrations, tant chez les utilisateurs que chez les travailleurs des services d’aide. En fin de compte, tout peut être imputé à un manque d’investissements dans la création de logements pour tous. Relativement trop de moyens vont à l’aide d’urgence – un lit, un bain, du pain – et pas assez à un accompagnement vers un logement. En termes absolus le budget pour l’accueil d’urgence est également insuffisant.

Des places séparées pour les malades

Parmi les aspects fréquemment décriés, citons la politique qui consiste à rassembler tous les types de profils dans un seul dortoir : des personnes souffrant de handicaps physiques ou de troubles mentaux, des individus alcooliques ou toxicomanes, des sans-abri endurcis ou des personnes anxieuses qui ne sont « à la rue » que depuis très peu de temps. Ces conditions sont particulièrement pénibles pour David (*) : sans domicile depuis 3,5 ans, il ne parvient pas à régler sa situation. Il est très affaibli physiquement : il n’a qu’un rein, souffre de surdité partielle et a subi une opération du dos, il marche très difficilement avec une canne. Si son dos le permettait, il préférerait dormir dans la rue. « J’ai même vécu un an dans le bois de Liedekerke… Tout vaut mieux que de côtoyer 30 à 40 personnes dans un dortoir. Les gens fument et boivent, ils allument la lumière au milieu de la nuit. Certains parlent à voix haute ou crient, d’autres ne se sont plus douchés depuis longtemps. Je refuse de dormir dans un tel endroit car ça pue ! Je préfère rester assis dehors à attendre, je dors au maximum deux heures par nuit. Ce n’est pas humain. Tout le monde doit pouvoir manger à sa faim et dormir convenablement, tout le reste, vêtements, voiture, argent, c’est secondaire. Sans nourriture suffisante et sans sommeil correct, rien ne va plus. Les personnes malades et handicapées comme moi devraient avoir une place séparée. »

Traités comme des criminels

Slimane est du même avis. « C’est mal organisé. C’est la pagaille à cause du mélange de personnes psychologiquement perturbées, sous l’influence de l’alcool, droguées ou simplement agressives. Vous fermez les yeux, mais votre cerveau ne dort pas, parce que vous avez toujours peur qu’un problème survienne. Qu’ils vous assomment ou vous volent vos affaires. Il y a des gens qui dorment sur le sol, qui urinent dans le couloir, qui apportent et consomment des canettes de bière, bien que ce soit interdit. Le personnel est trop réduit, ils n’osent pas intervenir. Ou ils en ont tellement assez qu’ils ne font plus rien. Ou encore ils deviennent déraisonnables et nous traitent comme si nous étions des criminels. Nous avons l’impression d’être en prison alors que nous n’avons rien fait de mal. Cela rend les gens encore plus agressifs. Un homme a ainsi été privé de repas parce qu’il avait dix minutes de retard. Mais il avait fait tout le trajet à pied parce qu’il n’avait pas d’argent pour le métro ! Il a donc piqué une colère, s’est mis à taper du poing sur les portes et on l’a jeté dehors. »

Réservation par téléphone

Afin de répartir les places limitées le plus équitablement possible, les organisations doivent utiliser des systèmes comme le tirage au sort ou demander de téléphoner personnellement pour réserver sa place. Au Samusocial, il existe depuis deux ans une liste des personnes précaires qui ne doivent pas téléphoner. Pour les autres qui n’ont pas d’autre choix que de téléphoner il reste difficile de trouver une place pour dormir, ce qui entraîne quotidiennement incompréhension et irritation. Slimane le confirme : « J’ai essayé de les appeler de 14 à 15 heures et quand j’ai finalement obtenu quelqu’un au bout du fil, ils étaient complets. Il ne reste alors plus qu’à attendre jusqu’à 23 heures dans l’espoir que quelqu’un ne se présente pas, sinon vous êtes à la rue pour la nuit. Il n’est pas permis non plus de réserver en même temps pour quelqu’un d’autre qui n’aurait pas de GSM par exemple. Non, il faut faire un autre appel individuel, avec de nouveau un temps d’attente et le risque qu’ils soient complets. Ils ne tiennent pas non plus compte de votre situation : ils vont attribuer une place dans un lieu d’accueil loin du centre à une personne qui se déplace difficilement, l’obligeant à prendre le métro et à risquer une amende faute de pouvoir acheter un ticket. Et par ailleurs un jeune gaillard en forme obtiendra une place en plein centre. Ce n’est pas logique. »

Dehors à 8 heures

Pendant le Plan Hiver, les centres d’accueil de jour affichent des heures d’ouverture élargies qui permettent un meilleur alignement sur l’accueil de nuit. Mais les personnes hébergées doivent quand même quitter les lieux très tôt le lendemain matin, même en plein cœur de l’hiver, lorsqu’il fait froid et sombre. Pas d’exception pour Chantal, enceinte jusqu’aux yeux, qui a passé la nuit à l’étage des femmes du centre d’hébergement hivernal : contrainte de se lever aux aurores pour quitter les lieux, elle a trouvé l’expérience détestable. « Vous devez vous lever à sept heures voire à 6 heures si vous voulez prendre une douche. Et à huit heures, tout le monde doit être dehors. Il y a des gens qui préfèrent dormir dans la rue, car alors on les laisse tranquilles et ils peuvent continuer à dormir jusqu’à dix ou onze heures. Heureusement, il existe d’autres centres qui offrent un accueil de jour et où vous pouvez rester jusqu’au moment de retourner à l’hébergement de nuit. » David est lui aussi heureux qu’il existe des centres d’accueil de jour où l’on peut boire une tasse de café ou simplement s’asseoir au chaud tranquillement. Il est réellement reconnaissant de tout ce que font les travailleurs de terrain. « S’ils n’étaient pas là, je serais mort depuis longtemps. Je n’ai plus rien : ni logement, ni argent, ni famille. Si j’étais le Premier ministre ou le Roi, je donnerais un prix Nobel à tous les collaborateurs de ces associations. »

Vers une autre politique

L’accueil d’hiver n’est pas suffisamment adapté au vécu des plus précaires et des sans-abri. Nous lançons un appel à toutes les organisations, mais surtout aux responsables politiques, pour qu’ils s’efforcent d’engager le dialogue avec les usagers. Cet échange doit être la base pour améliorer toute la politique publique de la précarité et du sans-abrisme. Un accueil ouvert, inconditionnel reste nécessaire. Mais nous savons que l’accueil de nuit est un écran de fumée qui cache le manque de réponses politiques à la crise du logement. L’accueil d’hiver n’est pas une solution, nous devons évoluer vers un système qui prévoit un logement pour toutes et pour tous.

* Tous les noms sont des pseudonymes.

Titre et introduction sont de la rédaction. Titre original : « Fermeture des centres d’accueil hivernaux à Bruxelles ».

 

Contribution externe Publié le jeudi 03 mai 2018 à 13h27 – Mis à jour le jeudi 03 mai 2018 à 13h31

http://www.lalibre.be/debats/opinions/l-accueil-d-hiver-n-est-pas-une-solution-opinion-5ae9dc93cd704297e75bbd1f

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

NOUS SUIVRE SUR LES RÉSEAUX :

 

BRUXELLES

13 Rue des Champs Élysées – 1050 Bruxelles

NAMUR

Rue de Bomel 154 – 5000 Namur

AVEC LE SOUTIEN DE

     

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

BRUXELLES

13 Rue des Champs Élysées – 1050 Bruxelles

NAMUR

Rue de Bomel 154 – 5000 Namur

AVEC LE SOUTIEN DE


     

Back To Top