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Pour ceux et celles qui vivent en rue, un accueil jour et nuit en hiver

Bruxelles s’organise pour héberger et soigner les sans-abri. La nuit, avec 1.200 places. Le jour, avec des soins et une écoute. Avec une attention particulière aux familles.

En huit ans, le nombre de sans-abri a triplé à Bruxelles. Ils étaient un millier en 2008. Ils étaient 3.300 en 2016, lors du dénombrement effectué par l’association La Strada. « A l’échelle d’une ville d’1,2 million d’habitants, cela reste une solution abordable, affirme le directeur Yahyâ Hachem Samii. Les recettes, on les connaît. Et Bruxelles ne reste pas sans rien faire. »

Reste qu’avant le début du plan hiver, qui commence ce jeudi, de nouvelles personnes viennent s’installer dans les rues. « Il y a un phénomène d’appel d’air, il y a les phénomènes migratoires aussi, il suffit qu’on ferme des camps de demandeurs d’asile en Allemagne ou en France, et puis il y a le sans-abrisme caché », explique Yahyâ Hachem Samii.

Et dans la rue, il y a de plus en plus de femmes et d’enfants pour qui il est important d’apporter une approche spécifique, avec « des temps ou des espaces spécifiques en matière d’hygiène pour elles » et avec plus de places, proportionnellement, pour ces familles monoparentales ou non que pour des hommes. Toutefois, « il n’y a pas suffisamment d’espaces pour que les couples puissent se retrouver dans l’intimité, explique encore le directeur de la Strada. Et un certain nombre de couples ou de familles décident, face à la structure, de se séparer physiquement, le père préférant rester dehors et laisser sa compagne et ses enfants dormir à l’intérieur. La structure vient alors fragiliser le couple alors que la solidarité est importante en rue. »

Cette année, le plan Hiver prévoit un total de 310 places pour les familles dans les centres, annonce Christophe Thielens, porte-parole du Samu social. Deux cents places « famille » vont ouvrir rue Royale, dont la moitié sera occupée par des personnes actuellement hébergées au bâtiment Poincaré. Ainsi, 778 places seront accessibles immédiatement jeudi, un chiffre qui augmentera progressivement et s’adaptera en fonction des besoins. Et, en plus des 378 places ouvertes toute l’année, 600 à 800 places régionales pourront être ouvertes pour ce dernier plan Hiver avant la réforme de l’aide aux sans-abri.

En effet, les nouvelles ASBL « New Samusocial », résultat d’un compromis franco-flamand, et « Bruss’Help », organisme qui sera chargé d’anticiper les variations en termes de demandes d’accueil et de planifier les ouvertures de places supplémentaires, devraient lancer leurs activités au courant du premier trimestre 2019.

Le sans-abrisme en chiffres

3.300

C’est le nombre de SDF dénombrés en 2016 dans les rues de Bruxelles par l’association La Strada. Tous les deux ans, l’association procède au dénombrement des personnes vivant en rue. « On prend une photo de la situation : les groupes, les hommes, les femmes, les enfants…, explique le directeur Yahyâ Hachem Samii. On essaie de prendre la vue la plus globale possible et de brosser dans les stations de métro, les gares, les squats. Malgré tout, une grande partie échappe à nos radars : les personnes qui vivent dans un garage, une cave, chez un ami, tout le sans-abrisme caché. » La Strada a procédé cette semaine à un nouveau dénombrement, dont les résultats devraient être compilés d’ici au printemps prochain.

2.058

séjours ont été encodés en 2012 par les centres d’hébergement participant au Recueil central des données. Cela représente 1.794 personnes différentes, adultes ou mineurs considérés comme chefs de famille qui ont passé au moins une nuit en centre d’hébergement d’urgence, d’après un rapport de la Strada sur les femmes en rue. Dont 902 femmes. Plus d’un tiers des femmes sont âgées entre 25 et 34 ans. Et 28,7 % des hommes ont entre 35 et 44 ans.

929

Près de mille enfants ont été accueillis en 2012, avec 468 familles enregistrées. Neuf familles sur dix sont monoparentales, avec le plus souvent à leur tête des femmes.

Une douche, des soins, une écoute: aux Marolles, une bulle d’air pour les sans-abri

Ça sent bon et fort. Ça sent le savon, la mousse à raser et la lessive. Le désinfectant, aussi. Fort. Devant la glace, trois hommes se rasent au rabot, consciencieux. Les quatre douches sont numérotées. Le linge est enfourné dans de grands filets, avant d’être jeté dans le tambour. Les six grosses machines à laver et sèche-linge tournent à tout-va, remplis. Le visage brouillon d’une nuit passée dehors ou à l’abri de nuit, les hommes et les femmes s’activent, en douceur, dans la routine du petit matin. On discute, mais pas fort, on a chaud, on prend du temps pour soi. On prend soin de soi.

Pendant que les vêtements sont lavés, on boit une tasse de café en jogging et chaussons blancs d’hôtel. Une bénévole, Anne-Thérèse, explique en espagnol à un homme à la veste de cuir et aux cheveux coiffés au gel comment descendre la rue une fois arrivé à la Porte de Hal pour trouver à manger pour un euro. « Vas hasta el castillo y bajas, bajas, bajas… » Ou on dort, caché par un simple rideau, sur une banquette, à l’intérieur. A la Fontaine, rue Haute, dans les Marolles, ce sont 42 hommes et femmes sans-abri qui viennent chaque jour en moyenne pour s’occuper de leur hygiène.

« Je vois des pieds d’athlète ici »

Derrière une autre tenture, un pied dépasse. Gonflé, fatigué, blessé. Training mauve et vert, M. Daborsky reçoit une pédicure des mains expertes de Laura. La femme énergique et souriante coupe doucement les peaux mortes, ponce les callosités, passe entre ses orteils un coton imbibé de violet de gentiane pour assécher la peau et éviter les mycoses. Enfermés dans des chaussures souvent chaudes et humides que les sans-abri ne quittent jamais – en rue, de bonnes chaussures, c’est précieux -, « les pieds, c’est ce qui souffre le plus, souligne la pédicure, blouse blanche et gants en caoutchouc. Ils nous portent et nous supportent. Je vois des pieds d’athlète ici. » Sa béquille contre le mur, la main sur le genou, M. Daborsky parle peu. Et quand on lui demande à quel point il marche dans la rue, il relève son jogging et dévoile la cicatrice qui lui fend le genou en guise d’explication. Peu mais ça fait mal… Relax, il a baissé la garde et profite de ce « moment ‘intime’ ». « C’est un moment où ils peuvent se poser, où on peut les toucher, où ils peuvent se faire dorloter un peu, déposer leurs angoisses, parfois ils pleurent, rapporte Laura. Il y a un but bien précis : alléger la souffrance, le malheur, recevoir une dignité. » Juste à côté, un homme rase la tignasse crépue d’un autre, assis devant un haut miroir, à petits coups de tondeuse dans le coin salon de coiffure.

« La douche, c’est le laisser-passer, explique Cathy Van Heer, la responsable de la Fontaine. Ils viennent au départ pour une douche qui est ‘obligatoire’. Notre objectif, c’est quand même l’hygiène et le service complet. » Il y a ensuite la lessive pour un « change complet », l’infirmerie, la pédicure, le chargement de GSM et le vestiaire d’urgence rempli grâce à des dons toujours bienvenus. Les hommes peuvent venir une fois par semaine. « Parce qu’on refuse du monde tous les jours, souligne Cathy. On garantit un accueil inconditionnel, anonyme et gratuit. Ils peuvent donner le nom qu’ils veulent, histoire qu’on puisse s’assurer qu’ils ne viennent pas tous les jours. »

Les femmes avant les hommes

Les femmes ont le droit de rentrer une heure avant les hommes et de venir deux fois par semaine. Les yeux fardés de bleu, Mme Pardon a pris son tour à la pédicure. Elle vient le mardi et le vendredi. « C’est propre ici », sourit doucement Helena, qui dort au Samu social. Son visage rond est encore rougi par les vapeurs de douche. « Viens, chef », crie-t-elle tout à coup, indiquant à un homme au chapeau de cow-boy noir que les toilettes sont libres. « Son compagnon », glisse la pédicure.

Dans la pièce d’à côté, deux infirmières auscultent un sans-abri, l’une penchée sur ses pieds, l’autre passant une peigne fin dans ses cheveux bouclés. « On fait beaucoup de soins parasites : les poux de corps, la gale, les punaises, explique Isabelle. On a du shampoing anti-poux et puis du produit qu’il faut laisser 48 heures sur la peau contre la gale. On remplace tout, on met les vêtements dans le congélateur et on les lave à 60° pour tout éliminer. » Derrière le rideau qui scinde la pièce en deux, une femme parle avec un fort accent, sous la douche réservée aux soins parasites et aux personnes à mobilité réduite. Elle en sort emmitouflée dans deux pulls, surmontés d’un manteau et d’un gilet à capuche. « Prendre une douche, tout nu, cela permet aussi de voir des choses qu’on ne remarque pas tout de suite : des plaies qui s’infectent, des parties rouges, remarque Cathy, la responsable qui est aussi coiffeuse à ses heures perdues. Ce n’est pas qu’un problème de microbes. »

C’est comme ça qu’Ahmed – « on va dire Ahmed, ça sonne bien », dit-il pour se présenter – a découvert une plaie au mollet, creusée dans la peau par la tirette d’un training. Le petit homme grisonnant vit à la rue depuis plus de deux ans, expulsé d’un logement d’une manière « tout à fait abusive ». « J’ai tout perdu, j’ai rencontré des gens à la rue qui m’ont parlé de la Fontaine, raconte-t-il. C’est bien, mais il y a parfois des voleurs, des gens agressifs. Ce ne sont pas des anges. Il faut toujours faire attention. On m’a volé un pull l’autre fois. »

L’hygiène est souvent un prétexte

Mais si l’hygiène est au cœur de l’activité de la Fontaine, elle est aussi souvent un prétexte. Pour parler du reste, des difficultés, de la santé, pour aiguiller vers les autres services, les médecins, les soupes populaires et les lieux où dormir, pour sourire, un peu aussi, prendre un peu de légèreté autour d’un café et d’un biscuit dans le « babelkot ». Pour rentrer dans la « bulle » qu’ils ont construite autour d’eux, comme dit Cathy. Et tout ça fonctionne grâce à quatre employés et 85 bénévoles et à l’Ordre de Malte. « Le but, c’est que, quand ils sortent d’ici, ils soient tout frais, tout pimpants et se fondent dans la masse », ajoute Cathy. « Se sentir bien, se sentir humain », conclut Ahmed.

«En rue, les femmes exposées à la violence»

Anne-Laure Pignard est coordinatrice des projets Bruxelles chez Médecins du Monde. Entretien.

Comment est né le projet Avec Elles de Médecins du Monde ?

Dans notre centre d’accueil soins et orientation (CASO) de Bruxelles, il y avait surtout des hommes. Et les femmes ne venaient pas ou peu. On s’est rendu compte que les femmes étaient convaincues que la santé, elles n’en avaient pas besoin. Oui, elles avaient mal ici ou là mais ce n’était pas grave. C’étaient des femmes n’exerçaient pas leur droit à leur santé. Dans le cadre d’Avec Elles, une chargée de projets et une équipe de bénévoles vont à la rencontre des femmes dans des lieux de vie, de travail, d’alphabétisation, dans des restaurants sociaux ou des squats, certains quartiers aussi où il y a une grande concentration de personnes qui n’ont pas de papiers. On fait des maraudes pour sensibiliser aux soins et à la santé. La priorité est donnée aux femmes, mais on parle aussi aux hommes quand ils ont des questions.

Quel est le parcours de ces femmes ?

Un certain nombre de femmes qu’on rencontre ont été ou sont victimes de violences conjugales. Une femme et son petit garçon étaient battus par le mari. Et elle refusait d’aller voir le médecin de peur qu’il ne prenne son enfant parce qu’elle vivait en rue. Souvent, c’est la violence qui a déclenché cette situation de précarité. Et en plus, une fois qu’elles sont dans la rue, elles sont encore plus à risques d’être victimes de violence, parce qu’elles sont dans la rue.

En quoi leur sexe a-t-il un impact sur leur quotidien ?

Des femmes, on n’en voit pas souvent qui dorment dans la rue. Parfois, elles doivent se prostituer, elles ont un logement contre un service sexuel à un marchand de sommeil ou à quelqu’un de la communauté. Et ça, ce n’est pas quelque chose qui se dit. C’est quelque chose que nous, des psychologues ou des médecins ont entendu en consultation médicale. Certaines refusent et préfèrent dormir dehors. Et après, elles sont jugées pour avoir refusé un logement ! Mais comment une femme va pouvoir dire : « C’est parce qu’on m’a demandé une fellation par jour à chaque fois que je dors là ! » Ce sont des situations très peu connues et sur lesquelles on a très peu d’influence, même si le Samu social donne des places prioritairement aux femmes.

Offrir une écoute, cela fait aussi partie de votre travail…

On va à l’approche des personnes qui n’ont plus envie ou qui n’ont pas fait les démarches médicales et on essaie d’identifier là où sont les blocages. Car souvent, quand on est une femme qui vit en extrême précarité, on a un sentiment de culpabilité parce qu’on se dit : “la société attend de moi que je m’occupe de mes enfants, de ma famille et donc je fais tout mal”. On essaie de faire le lien entre ces personnes et les services. Et on permet un moment de bien-être et de confiance pour valoriser ces personnes qui se sentent jugées et coupables. Parce qu’au contraire, elles qui trouvent des moyens pour survivre dans la rue, elles sont pleines de ressources !

Source : Le Soir, disponible sur https://plus.lesoir.be/189240/article/2018-11-10/pour-ceux-et-celles-qui-vivent-en-rue-un-accueil-jour-et-nuit-en-hiver

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

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