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Sans-abri à Bruxelles : un projet d’ordonnance qui sème le trouble

Le projet d’ordonnance qui ambitionne de réorganiser le secteur bruxellois de l’aide aux personnes sans abri a entamé son chemin législatif. Dans le secteur, il suscite de vives inquiétudes, entre autres parce que son article 7 semble exclure de l’urgence sociale le public des sans-papiers. Ce que le cabinet de Céline Fremault réfute vigoureusement.

Fin janvier, le Collège réuni de la Cocom approuvait en première lecture le projet d’ordonnance «relative à l’aide d’urgence et à l’insertion des personnes sans abri». Le texte entend réorganiser le secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri, jusque-là régi par l’ordonnance «relative aux centres et services de l’aide aux personnes» de 2002. Dans le secteur, on admet que ce travail de mise en ordre des missions des services d’aide aux sans-abri était nécessaire, notamment pour que soient – enfin – reconnus les services et initiatives qui ont vu le jour depuis quinze ans. Mais le texte qui circule actuellement (version du 14/12/2016) éveille de nombreuses craintes.

Sans-papiers exclus de l’urgence sociale ?

La première et non la moindre touche aux publics cibles de l’hébergement d’urgence. Si le projet d’ordonnance, dans son article 7, précise que la personne sans abri peut bénéficier d’un hébergement d’urgence «de manière inconditionnelle dans la limite des places disponibles», le texte enchaîne aussitôt sur le fait que le Collège réuni affectera des moyens pour garantir l’accès aux services aux sans-abri qui remplissent l’une des conditions suivantes: être de nationalité belge; être Européen et bénéficier d’un droit de séjour de plus de trois mois; être étranger inscrit au registre de la population; être apatride; réfugié ou encore bénéficier de la protection subsidiaire.

Exit donc les personnes en situation irrégulière?

«Ni la Région ni la Cocom ne sont constitutionnellement responsables de l’aide matérielle que notre pays doit pouvoir assurer aux personnes migrantes précarisées.», cabinet  de Céline Frémault

C’est en tout cas ce qu’ont compris la plupart des travailleurs du secteur en découvrant la version provisoire du projet. «Très vite, on s’est rendu compte que toute une série d’organisations du secteur, mais aussi le Comité de vigilance en travail social et la Ligue des droits de l’homme avaient eu la même interprétation, explique Christine Vanhessen, directrice de l’AMA, Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri. On parle d’un accueil inconditionnel, puis on conditionne l’accès. On exclut du secteur un type de public.»

Qu’en disent les ministres bruxellois de l’Aide aux personnes? Du côté de Pascal Smet, silence radio. Au cabinet de Céline Fremault, on proteste: «La confusion règne et il est temps de mettre un terme aux rumeurs les plus fantaisistes.» L’interprétation de la teneur de cet article est erronée, nous explique-t-on. «Les personnes en situation irrégulière de séjour continueront à pouvoir accéder inconditionnellement aux centres d’accueil d’urgence bruxellois et leur droit à l’anonymat est préservé. C’est une question humanitaire.»

Mais pourquoi alors définir des publics qui seraient ou non couverts par les moyens affectés par la Cocom? Réponse dans une histoire, à la belge, de patate chaude que l’on se refile d’un niveau de pouvoir à l’autre. «Ni la Région ni la Cocom ne sont constitutionnellement responsables de l’aide matérielle que notre pays doit pouvoir assurer aux personnes migrantes précarisées. Il s’agit clairement d’une responsabilité dont le niveau fédéral a la charge. Or, malheureusement, cette responsabilité fédérale ne se traduit pas dans les faits», explique le cabinet de la ministre bruxelloise de l’Aide aux personnes.

«Si nos interprétations sont erronées, elles risquent de continuer à circuler tant que les ministres ne seront pas plus clairs sur leurs intentions.», Christine Vanhessen, Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri.

C’est la raison pour laquelle va être introduit dans l’ordonnance un principe du droit opposable au bénéfice des sans-abri n’ayant pas obtenu un hébergement en cas de besoin (la notion de droit opposable désigne les droits dont des individus peuvent se prévaloir par exemple à l’encontre d’un pouvoir quel qu’il soit, ce qui leur garantit la possibilité d’introduire un recours contre ce dernier). Si le texte dont nous disposons n’inclut pas cette notion, il devrait à terme prévoir la possibilité pour un sans-abri avec papiers d’attaquer la Cocom en justice si un refuge lui est refusé. Si vous êtes sans abri et sans papiers et qu’un refuge vous est refusé, la responsabilité incombe par contre au fédéral. «Néanmoins, tient à ajouter le cabinet, tous les moyens sont mis en œuvre pour qu’il n’y ait aucun refus d’hébergement que l’on ait ou non des papiers. Il s’agit de moyens très importants qui ont déjà permis en 2015, 2016 et 2017 d’absorber l’entièreté de la demande d’accueil.»

L’intention du cabinet de Céline Fremault n’est donc pas de jeter les sans-papiers à la rue. Il reste que la version du projet dont dispose le secteur laisse ce dernier dans le flou. «On a transmis des courriers, des mails, explique Christine Vanhessen. Mais à l’heure d’aujourd’hui, nous n’avons reçu aucune réponse écrite. Si nos interprétations sont erronées, elles risquent de continuer à circuler tant que les ministres ne seront pas plus clairs sur leurs intentions.»

Un parcours figé dans le marbre ?

Points positifs du texte, la pérennisation d’initiatives qui demeuraient jusque-là non reconnues: les centres d’accueil de jour (même si ni la définition ni les missions du projet d’ordonnance ne correspondent aux revendications du secteur) et les projets de Housing First. En dehors de cela, le texte propose une vision assez dichotomique de l’aide aux sans-abri. D’un côté l’urgence sociale, de l’autre l’insertion. Ces deux pans du secteur auront chacun leur organe de coordination: le Samusocial orientera les personnes sans abri dans le réseau de l’urgence, tandis que le Bureau d’insertion sociale (BIS) les répartira au sein des services d’insertion (maisons d’accueil, logement accompagné, Housing First).

«Je suis étonné de constater que l’organisme chargé de la coordination de l’urgence est lui-même l’opérateur principal, commentait Alain Maron (député Écolo au parlement bruxellois) à la commission Affaires sociales de la Cocom le 21 décembre 2016. En d’autres termes, il se coordonne lui-même, ce qui ne constitue pas un modèle organisationnel très sain.» À ce stade, le Samusocial n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Quant au BIS, inexistant jusqu’ici, il devrait être pris en charge par la Strada, le Centre d’appui du secteur, nous renseigne-t-on au cabinet Fremault. L’asbl deviendra de droit public et sera organisée en deux départements: le premier conservera les fonctions actuelles du Centre d’appui, à savoir la recherche, la concertation, l’analyse et la production d’expertise, et le second sera chargé de l’orientation des personnes sans abri.

Le texte témoigne d’une certaine vision figée du parcours des personnes sans abri, regrette-t-on dans le secteur. Il est toujours alimenté par une vision minimaliste pour laquelle l’itinéraire du sans-abri est linéaire, en escalier (modèle qui conditionne l’accès des sans-abri à des services selon un parcours type: de la rue à l’hébergement d’urgence, à la maison d’accueil… jusqu’au logement). Mais ce qui inquiète surtout, c’est la crainte que les personnes orientées par les organismes coordinateurs soient «obligées d’aller dans un service dont le projet pédagogique ne leur convient pas».

Si des possibilités de recours existent pour faire revoir une décision d’orientation (auprès des organes de coordination dans un premier temps, auprès des ministres dans un second), on peut s’interroger sur leur effectivité. Le texte stipule en effet que «si aucune décision n’est prise par les ministres, la décision de l’opérateur devient définitive». Quant à la possibilité d’opposition par le sans-abri lui-même, elle n’est évoquée nulle part.

Encore une fois, le cabinet apporte des précisions quant aux intentions des ministres: il n’y a en aucun cas de passage obligatoire par l’urgence pour accéder à un dispositif d’insertion; en outre, «orienter» n’est pas synonyme de «contraindre». Il s’agit «simplement de faciliter le travail de tout le monde», «d’améliorer la division du travail» et «d’assurer un minimum de coordination». «Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, aujourd’hui à Bruxelles, un sans-abri sur deux n’ouvre pas ses droits les plus fondamentaux: pas de revenus de substitution (RIS), pas d’adresse de référence, pas de sécurité sociale, etc. Cette situation insoutenable est en partie imputable à une mauvaise orientation des sans-abri vers les services adaptés à leurs besoins. Pour mieux orienter, on doit connaître les profils et les parcours et on doit pouvoir disposer d’un outil de gestion de l’information et d’enregistrement.»

Données : éviter le partage à tout-va

La collecte et l’enregistrement des données sont le troisième grand motif de préoccupation. Le projet d’ordonnance prévoit la création d’un «dossier social» reprenant toute une série de données (nom, prénom, genre, état civil, nationalité et statut de séjour, ressources économiques, motifs de sans-abrisme, etc.), qui pourront être partagées dans le secteur, mais aussi avec les CPAS.

Décembre dernier, commission Affaires sociales à la Cocom. Catherine Moureaux (députée PS) interpellait Céline Fremault à ce propos: «À l’heure où les CPAS sont en délicatesse avec le gouvernement fédéral sur le respect de leur secret professionnel et sur une utilisation prudente des flux de données personnelles, la question du respect de ce cadre déontologique du travail social fait l’objet d’une attention particulière (…). Sous couvert de vouloir aider les usagers, il ne faudrait pas violer leurs droits fondamentaux et fouler aux pieds les règles de base en matière de vie privée et de secret partagé.» Et Alain Maron de renchérir: «Les CPAS devront transmettre de plus en plus de données au pouvoir fédéral, et beaucoup s’en inquiètent.»

«Il est de notre responsabilité de ne pas retarder une réforme qui a déjà trop tardé.»,la ministre Céline Fremault.

Si le secret professionnel semble bien balisé dans le texte, le fait même d’introduire un «dossier social électronique partagé» contrarie. «L’enregistrement des personnes sera, dans le respect de la protection de la vie privée, obligatoire et géré par le BIS. Il ne s’agit pas de ficher les sans-abri, comme certains l’ont suggéré, mais d’augmenter leurs chances d’inclusion», défend le cabinet de la ministre. Le projet d’ordonnance a d’ailleurs été rédigé en étroite collaboration avec le Centre de droit public de l’ULB afin d’empêcher un usage malveillant des données.

«Comment ce texte sera-t-il lu dans dix ans?»

Encore une fois, l’enregistrement des données ne risque-t-il pas d’exclure du système les personnes en situation irrégulière? «Vu l’encodage des données, les sans-papiers ne vont plus passer par le BIS. Idem pour ceux qui sont dégoûtés de s’inscrire dans un schéma type. Que va devenir ce public?», s’interroge une personne du secteur.

«Pour envisager une inclusion sociale, il est déterminant de disposer de droits. Ce n’est naturellement pas le cas des sans-papiers qui sont condamnés par des politiques européennes et fédérales de plus en plus restrictives à vivre dans la clandestinité. Et il ne faut pas être un devin pour comprendre que le niveau fédéral n’envisage ni à moyen ni à long terme de se lancer dans des politiques de régularisation», répond le cabinet, pour lequel c’est au niveau des centres d’accueil d’urgence que l’on doit essayer de faciliter l’ouverture des droits de ces personnes.

Le projet d’ordonnance passera en seconde lecture au Collège réuni après avoir été soumis pour avis à la Commission de la protection de la vie privée (en cours) et au Conseil consultatif. Dernières étapes: une troisième lecture, après avis du Conseil d’État, avant d’être transmis au Parlement. «Il est de notre responsabilité de ne pas retarder une réforme qui a déjà trop tardé. Le retard accumulé lors des législatures précédentes a eu pour effet des impacts très néfastes sur les personnes dans le besoin», estime la ministre Fremault.

Une chose est sûre, des précisions et corrections seront nécessaires pour réussir à rassurer des travailleurs soucieux. «Même si les intentions ne sont pas celles-là, il y a des éléments qui ne peuvent pas être coulés dans un texte de la sorte, commente Alain Willaert, du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS). Car comment ce texte sera-t-il lu dans dix ans par d’autres partis qui seraient au pouvoir?»

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

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